Ahcène Mahiouz…Adolf Eichmann ?

Alors, nous, de notre côté, nous avons vécu ce complot (la bleuite). Nous voyions des convois de cinq, six, dix combattants enchaînés, on connaissait beaucoup parmi eux. On était étonné, on était écœuré. Des gens comme ça qu’on traite de traîtres ? Des gens braves, des gens courageux, vraiment on ne comprenait plus rien à ce qui se passait. Chacun de nous attendait son tour mais de façon stoïque. On n’a pas perdu la tête sachant qu’il y avait un élément aggravant dans la situation, la hargne du commandant Mahiouz, Ahcène Mahiouz. Mahiouz qu’on surnommait Eichmann à l’époque. Lui, avec des yeux grands ouverts il entrait dans un refuge, il regardait les djounouds dans les yeux pour déceler un quelconque signe de trahison. Et à l’époque son doigt nous désigne mais il y avait quand même le contrepoids d’Amirouche parce que Mahiouz ne reconnaissait que l’autorité d’Amirouche. Il ne reconnaissait personne d’autre. L’auteur de ce témoignage est Djoudi Attoumi

Qui était Ahcène Mahiouz ?

Sur le passé d’avant 1956, il n’y a presque rien sur Ahcène Mahiouz dit Ahcène-la-torture dit Eichmann. On rapporte presque honteusement un engagement militaire aux côtés de l’armée nazie pendant la seconde guerre mondiale comme si c’était un choix banal. Sans plus. Pas la moindre indication non plus sur les conditions et la durée de son enrôlement, pas un mot sur la légion dans laquelle il avait servi et rien sur les théâtres d’opération où il s’était battu. A-t-il fait partie des fameux Einsatzgruppen ? Le mutisme est total sur ce qu’il était devenu entre sa démobilisation à la fin de la guerre et la date à laquelle il fut muté à la wilaya III. Tous ces blancs sont bien étranges.

C’est dans ce chantier de la wilaya III que l’Etat-Antar est né. C’est là que le Eichmann kabyle accomplit le précieux métier méthodiquement appris sous l’autorité des tortionnaires allemands et de leurs collabos français, travail dont ont grandement profité les colonels Krim Belkacem, Aït Hamouda Amirouche et, surtout, Paul-Alain Léger, l’officier du service Action du Sdece. Un peu plus tard, le MALG perfectionna l’ébauche kabyle.

L’occultation de ses états de service est presque parfaite si ce n’était la Bleuite, le seul thème auquel son nom est associé dans les écrits sur cette opération qui avait permis au capitaine Paul-Alain Léger, son concepteur, de s’imposa en chef de la Zone Autonome d’Alger (Z.A.A.). L’officier français s’était substitué au CCE avant d’étendre son commandement à la Kabylie et faire du colonel Aït Hamouda Amirouche et de ses adjoints des éradicateurs à sa merci. Cette manipulation dura de 1957 à 1961.

Le chef d’œuvre de Mahiouz

Ahcène Mahiouz avait mis en route un terrible engrenage dans la wilaya III : les tortures en chaîne avaient donné des résultats inespérés. Avec son adjoint Adjaoud Rachid, assistés d’un groupe de montagnards persuadés de purifier la révolution, ils faisaient régner dans chaque zone une atmosphère de suspicion oppressante. Dès août 1958, Mahiouz avait établi un épais dossier bourré de « preuves » contre une cinquantaine de cadres qui avaient tous avoué leurs rapports avec les services spéciaux français.

Chacun, quel que fût son grade, avait été interrogé par Mahiouz qui leur avait appliqué le supplice de l'hélicoptère : l’homme nu avait les pieds et les mains liés et réunis par une corde que l’on accrochait à une branche. Le corps en arc de cercle était ensuite hissé à cinquante centimètres du sol, puis chargé de quarante ou cinquante kilos de pierres. Mahiouz plaçait ensuite sous le corps oscillant un Kanoun, une sorte de barbecue sur lequel un djoundi (soldat) versait de l’eau froide. L’homme, les muscles brisés, les os craquants, respirait cette vapeur brûlante qui attaquait soit le visage et les poumons, soit le bas-ventre. Sous la torture, les hommes donnaient les noms de ses plus proches compagnons. Il suffisait que le nom du maquisard soit prononcé par deux ou trois hommes « interrogés » pour qu’il soit lui-même inculpé et interrogé à son tour. Six suspects sur dix succombent au cours des interrogations. Il y eut des centaines, sinon des milliers de victimes pour la plupart innocentes des faits qui leur étaient reprochés.

Adolf Eichmann et Ahcène Mahiouz : l’épilogue.  

Il était le chef de l’Unité IV B4, un sous-département du RSHA (l’Office Central de la Sureté du Reich). Il était chargé des affaires juives avant de se voir confier l’organisation des convois de trains qui transportaient les prisonniers et la répartition des déportés vers les différents centres de tri puis leur affectation dans les camps de concentration. C’est cette mission qui lui a valu d’être affublé des appellations de « logisticien de la mort » et « l’architecte de la solution finale ». Il eut pour chefs Heinrich Himmler puis Reinhard Heydrich et enfin Ernst Kaltenbrunner.   A la fin de la guerre, pendant dix ans, et sous une identité d’emprunt, le colonel Adolf Eichmann trouva refuge en Argentine où il était employé comme contremaître dans les usines Mercedes-Benz. Le 11 mai 1960, un commando des services secrets israéliens le kidnappe, le drogue et le conduit clandestinement en Israël. Condamné à mort pour crimes contre le peuple juif, contre l’humanité et crimes de guerre. Adolf Eichmann n’était pas à proprement parler un dignitaire du régime nazi comme rapporté dans les médias. Il était un exécutant d’une politique décidée par ses supérieurs. Durant tout son procès, et sans nier son rôle pendant la guerre, le colonel Eichmann avait insisté auprès de ses juges qu’il ne faisait qu’obtempérer à ses chefs, qu’il n’avait d’autre choix à faire que d’appliquer une politique conçue et planifiée par Hermann Göring, Heinrich Himmler et Reinhard Heydrich. Ce plaidoyer ne lui a pas servi comme il ne profitera pas non plus au commandant Ahcène Mahiouz qui, en réponse à un reproche d’Aït-Mehdi Mohamed-Amokrane sur sa responsabilité dans les exécutions et sévices infligés aux moudjahidine, A. Mahiouz lui répondit : « Si je ne l’avais pas fait, Amirouche m'aurait tué  ».

Le colonel Adolf Eichmann fut pendu le 31 mai 1962. Incinéré, ses cendres furent dispersées dans les eaux internationales, en méditerranée. Il avait payé pour les manitous du régime nazi morts avant la fin de la guerre, les uns de mort naturelle et d’autres par suicide. Sa pendaison avait surtout masqué la responsabilité des nombreux officiers de l’armée hitlérienne retournés par les américains pour servir les guerres des USA et de l’Occident contre l’Urss, le communisme et le nassérisme. Il était le bouc-émissaire idéal.

Le commandant Ahcène-la-torture, quant à lui, fut embauché comme contrôleur du Parti après le 19 juin 1965. Jusqu’en 1971, le Eichmann kabyle mena une vie tranquille. Ce n’est que ces dernières années que le nom du chef du Comité d’Epuration, formé par le colonel Aït Hamouda Amirouche, est abondamment cité dans les massacres de moudjhadine pendant la bleuite. Le but évident est d’exonérer ses chefs de leurs responsabilités. Ahcène Mahiouz finit ses jours à l’hôpital du Val-de-Grâce où des médecins militaires français avaient fait l’impossible pour le sauver d’un cancer généralisé.

Eichmann et Mahiouz, deux hommes qui avaient servi l’Allemagne nazie, deux tueurs de masse pour deux fins très différentes.


Angle mort le 29 Avril 2022

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